Je parcours les couloirs du stade de la Beaujoire et me retrouve plongée dans les archives du FC Nantes. Aujourd’hui, je veux vous raconter l’histoire d’un homme dont la trajectoire fulgurante a marqué notre club avant de s’éteindre brutalement. Seth Adonkor, ce défenseur prometteur fauché à 23 ans, symbolise ces destins tragiques qui, au-delà du football, nous rappellent la fragilité de l’existence. Ce récit est aussi celui d’une génération dorée, celle qui a vu naître l’amitié indéfectible entre Marcel Desailly et Didier Deschamps, forgée dans la douleur d’un drame qui a bouleversé tout un club.
Le parcours prometteur d’un jeune défenseur aux portes des Bleus
Né au Ghana le 30 octobre 1961, Seth Adonkor débarque en France à l’âge de 12 ans sans connaître un mot de français. Son adaptation est pourtant fulgurante. Après ses premiers pas au club de La Mellinet, il intègre le centre de formation nantais à seulement 14 ans. Ce pur produit de la formation canarie fait ses débuts professionnels en avril 1981 à Metz.
Son évolution technique est fascinante. D’abord positionné comme milieu défensif, il s’épanouit pleinement en défense centrale où ses qualités physiques et sa lecture du jeu impressionnent. Ses performances lui ouvrent les portes de l’équipe de France espoirs, et Henri Michel, alors sélectionneur des Bleus, le surveille attentivement.
Son moment de gloire? Je me souviens encore de cette passe décisive magistrale à José Touré lors de la finale de la Coupe de France 1983, action considérée comme l’une des plus belles de l’histoire de la compétition. Un geste qui résume l’élégance et l’intelligence de jeu de ce footballeur d’exception.
Le dimanche noir du 18 novembre 1984
Ce jour-là, la pluie tombe sur la région nantaise. Une trêve internationale permet aux joueurs de souffler. Seth Adonkor, Jean-Michel Labejof (18 ans) et Sidi Kaba (17 ans) se rendent à Saint-Nazaire pour déjeuner chez les parents de leur coéquipier Laurent Obry. Sur le chemin du retour, le drame se produit.
À 12h35, à hauteur du Temple-de-Bretagne, la Ford XR3 conduite par Adonkor subit un aquaplaning sur la chaussée détrempée. Le véhicule traverse le terre-plein central de la voie express Nantes-Saint-Nazaire et percute frontalement la BMW du sénateur-maire de Vertou. La violence du choc est terrible.
Seth Adonkor et Jean-Michel Labejof meurent sur le coup. Sidi Kaba, lui, survit miraculeusement, mais ses blessures sont si graves qu’elles mettront définitivement fin à sa carrière de footballeur avant même qu’elle n’ait réellement commencé. Le football nantais vient de perdre deux joyaux et de voir un troisième irrémédiablement brisé.
Les victimes collatérales : Labejof et Kaba, deux autres espoirs brisés
Jean-Michel Labejof incarnait cette jeunesse pleine de promesses. Originaire de Martinique, ce milieu de terrain avait été repéré en équipe des Cadets de Paris. Il entamait sa quatrième année au FC Nantes et son intégration dans le groupe professionnel semblait imminente. Tous ceux qui l’ont connu évoquent son éternel sourire et sa générosité sur le terrain.
Quant à Sidi Kaba, son histoire est peut-être la plus cruelle. À seulement 17 ans, ce jeune Malien recruté très tôt par le club était déjà le meilleur buteur du groupe Ouest en 3ème division avec huit réalisations. Jean-Claude Suaudeau, notre emblématique entraîneur, prévoyait de l’intégrer rapidement à l’équipe première.
Si Kaba a survécu à l’accident, ses blessures ont définitivement anéanti ses espoirs de carrière professionnelle. Après des années d’anonymat, j’ai appris avec tristesse son décès fin 2023, près de quarante ans après ce drame qui avait déjà brisé ses rêves de footballeur.
L’annonce déchirante à Marcel Desailly et le rôle inattendu de Didier Deschamps
Au moment du drame, Marcel Desailly, demi-frère cadet de Seth Adonkor, participait à un stage avec l’équipe de France cadets à Monaco. Qui allait lui annoncer l’impensable? C’est un autre jeune homme de 16 ans qui s’est porté volontaire: Didier Deschamps.
Après avoir dit au coach Henri Guérin « Ne vous inquiétez pas, je vais lui dire », Deschamps s’est approché de son ami. Les mots qu’il a prononcés resteront gravés à jamais: « Marcel… Seth est mort… Jean-Michel aussi… Sidi est à l’hôpital… Ils ont eu un accident à midi. »
Ce geste, d’une maturité exceptionnelle pour un adolescent, révélait déjà le caractère et le leadership de celui que tous considéraient déjà comme « un patron ». Pour Desailly, ce moment est resté une preuve suprême d’amitié, bien qu’ils n’aient jamais reparlé de cette scène déchirante.
Un lien fraternel forgé dans l’épreuve
Cette tragédie a créé entre les deux futurs champions un lien indéfectible, presque fraternel, qui les accompagnera tout au long de leurs carrières respectives.
L’impact du drame sur le FC Nantes
Les conséquences sportives furent immédiates. Au moment de l’accident, notre équipe trônait en tête du championnat avec un point d’avance sur Bordeaux. Privé d’un élément défensif majeur, le FC Nantes a enchaîné les contre-performances. Les Canaris ont vu s’envoler leurs espoirs de titre, incapables de refaire leur retard sur les Girondins.
Je vous liste les impacts majeurs de ce drame sur le club:
- Effondrement psychologique d’un groupe qui comptait des joueurs comme Bertrand-Demanes, William Ayache, Bruno Baronchelli ou Vahid Halilhodžić
- Charge émotionnelle immense pour Robert Budzynski, directeur sportif, qui a dû annoncer la terrible nouvelle aux familles et au personnel
- Mobilisation exceptionnelle des supporters et de toute la ville de Nantes
Une semaine après le drame, le 24 novembre 1984, l’équipe réserve dirigée par Raynald Denoueix a disputé un match mémorable contre Lorient (victoire 6-5). Les jeunes, dont Deschamps et Kombouaré, ont reçu une ovation bouleversante du public de la Beaujoire.
Les liens indéfectibles : comment la tragédie a forgé Desailly et Deschamps
Cette épreuve a profondément transformé Marcel Desailly. Après la disparition de Seth, il s’est senti « investi d’une mission » qui lui a donné « encore plus de force » pour sa carrière. Comme si le talent d’Adonkor devait aussi s’exprimer à travers lui.
Didier Deschamps est devenu pour Desailly bien plus qu’un ami. « C’est un peu Didier qui a remplacé mon frère disparu », confiera-t-il plus tard. Le destin allait encore rapprocher les deux hommes puisqu’en décembre 1987, Deschamps perdait lui aussi son frère dans un accident d’avion, renforçant leur lien forgé dans la douleur partagée.
Ces jeunes gardes du FC Nantes, témoins puis victimes du drame, ont porté cette mémoire tout au long de leurs parcours exceptionnels. Leur amitié indéfectible les a menés jusqu’au toit du monde en 1998 puis au sacre européen en 2000. Comme si, quelque part, l’esprit d’Adonkor les accompagnait sur chaque terrain, témoin invisible de leurs réussites communes.
Moi, c’est Clara, 42 ans, passionnée de communication digitale et de récits jaunes et verts. Native de Saint-Nazaire, j’ai grandi avec le FC Nantes en fond sonore tous les dimanches à table. Aujourd’hui consultante en stratégie de contenu, je collabore avec FCNhisto.fr pour faire vivre le club autrement : à travers ses souvenirs, ses supporters, ses petites histoires qu’on ne lit pas dans les palmarès.